Surgit tout un monde des marges où vit selon l’artiste un " grand peuple silencieux et psychomorphe ". Un tel univers et sa configuration induisent un autre temps que celui de tous les jours.
Nous pénétrons dans d’étranges bulles. Tout est là : ce qu’on sait et ce qu’in ignore. Chaque personnage est autant voix que silence. Silence d’une voix que l’on entend et qui force à parler. Duras aurait dit que c’est une nuit. Que peindre c’est la nuit. Ou si l’on préfère, c’est évoquer une dépossession et une possession dans un phénomène d’achronie, un hors temps dans le temps. Le monde ne se rassemble plus. Ou plutôt se rassemble autrement. Des limites sont remplacées par d’autres. La réalité perd ses contours rassurants. Dedans et dehors n ‘ont plus de sens. C’est une seule même coulée de couleurs, de lumière ou de noir peu importe. Surgit l’apparition d’un insoupçonnable qui se dépose sur la toile : une trace, un miroitement, un vide, quelque chose, quelqu’un.
Quelqu’un ou quelqu’une qui ne ressemble pas à ce qu’on désigne couramment par ce nom pourtant vague. Dans chaque toile surgit de l’être. Il devient langage pictural et ne peut advenir que par lui.
Le fantastique est donc le moyen de donner de l’être à l’être par un anthropomorphisme particulier. Il montre en nous ce qui nous traverse et habite nos profondeurs.
C’est pourquoi les personnages de Brigitte Catroux sont in-sensés. Et sa peinture devient la continuité corps-monde et l’en deça ou l’au-delà de la présence. Elle n’est plus la fermeture d’une illisibilité, d’un invisible qui ne seraient que le produit d’une attenté déçue donc d’une image déjà connue et établie mais une ouverture d’un accueil à qui ne cesse de se faire et qui n’a pas de nom si ce n’est celui – énigmatique – que l’artiste donne à chacune de ses toiles. Surgissent une peinture-vie, un langage éclat, une peinture sans objet, un langage sujet.
Dans chaque œuvre la réalité s’engloutit et recommence, nous recommence.
Jean-Paul Gavard-Perret
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